Moi Michel Clerc me confesse à Dieu tout seul, et je crois qu’Il me pardonne mes péchés. Quand j’ai eu l’âge de me marier j’aurais bien voulu prendre la fille unique du vieux Fleet, mais ce vieux renard, il pensait qu’un commis, reste un commis, et que Françoise elle en vaut bien 10 des commis. Il m’a dit d’épouser Berthe et comme Berthe elle avait une jolie tête et qu’elle savait bien traire, ben j’ai pris la Berthe.
Françoise elle a arrêté de vivre, elle s’est pas suicidée comme le curé l’a dit. Françoise elle est pas aux enfers à cause de moi. Si c’est ça Dieu, et ben je deviendrai Protestant comme les Genevois.
On l’a retrouvé noyée dans l’étang de la ferme, sous la roue de la presse. C’est moi qui l’ai trouvée, je l’ai ramenée vers moi avec une branche. Elle avait mis ses souliers du dimanche en cuir,elle était belle, même morte. Moi je savais pas écrire, et puis ça servait à rien pour labourer. En hiver on a du temps dans les fermes, mais le vieux Fleet nous faisait faire du papier pour Genève.
Le Bailly est venu avec le curé constater sa mort. Comme c’est moi qui l’ai trouvée il fallait signer. Moi je savais pas signer, pas lire et puis mettre une croix et dire c’est bon, elle est bien morte ça me plaisait pas. J’ai mis la croix, Michel Clerc X. On t’a enterrée mais pas de croix, le curé il a dit, une suicidée pas de croix en signe de pénitence. Il s’est fait encorner l’hiver suivant. Dieu, pardonne-moi de pas avoir eu du courage pour mettre une croix sur Françoise et pardonne-moi d’avoir appris à écrire par vengeance que la seule croix de Françoise, ça soit la mienne, sur son acte de décès.
Arenthon le 8 mars 1791 H T S