Jonas Moënne

Les kakis de Monique

2018 2020 •| 57x29cm Paire de vases cassées en porcelaine, décor effacé, collage à 1250°C, texte et dessin de frelon asiatique petit feu(800°C)

Le projet des kakis de Monique est une série de vases cassés en porcelaine dont je viens effacer par sablage le décor kitch chinois fabriqué à la chaîne pour l’exportation. Je caviarde une nouvelle histoire, celle de Monique. Cette fiction raconte, sur les vases brisés puis recollés à l’émail, l’arrivée des frelons asiatiques en Europe pendant la canicule de 2003, premier élément de la crise climatique du XXI ° siècle en Europe. Entre histoire et fiction, se mêle le récit des enfants de Monique, celui d’un rêve déchu, sur le fantasme de la mondialisation.

Les soirs d’été, Monique dort très mal, son estomac démange, elle a de la sueur au bout des doigts et une terrible faim qui la dévore de l’intérieur.  Monique pense aux kakis de son jardin, et à son Robert. Ils se sont rencontrés dans les années septante, quand il a fertilisé son jardin pour planter un verger. Sa pépinière avait les plus grosses plantes du sud-ouest. Et dans l’import de poteries chinoises, jolies et pas chères, Robert faisait sa marge.


Monique adorait ses grands vases, son pavillon en était rempli. Ils arrivaient par Marseille, dans des caisses en bois, protégés par des tas de feuilles mortes pleines de bestioles crevées.
Vers la fin du siècle, quand Robert est mort, un importateur véreux a repris l’affaire. Monique prend soin quotidiennement de leur amour, et dorlote le plaqueminier. Maintenant, les cendres de Robert sont sous le kaki, comme promis.
Chaque automne en dévorant ses fruits pleins de soleil, Monique s’apaise, et noie sa douleur dans les fruits de son Robert.

Été 2003
La chaleur est devenue si forte que les pots de la pépinière cassent avec le choc thermique de la clim’. Les feuilles mortes grouillent de bestioles dans les caisses des poteries, ça dégoute. Le pavillon de Monique, de l’autre côté de l’autoroute, ressemble à un mirage avec le gaz qui se dégage de l’asphalte. Ça fait si sec que Monique doit arroser jusqu’à épuisement pour éviter de perdre toute sa récolte. Elle fait les cent pas entre le robinet, l’étendoir et les plantes du jardin. A chaque fois, deux arrosoirs remplis de flotte.


Toute cette eau qu’elle donne à son arbre, elle oublie de la mettre dans sa bouche. Morte de chaleur et de fatigue, elle a rejoint Robert sous le plaqueminier cet été-là. Elle n’a pas vu ses enfants tomber au sol, elle a été dévorée par la nuit. Et ils sont tombés, bien mûrs, cet automne-là, gorgés par le soleil, nappés de leur couleur orange vif.


Ils ont nourri de nouvelles tueuses, cachées dans les feuilles mortes des poteries, qui, le cœur gavé de sucre, se sont empressées de s’enterrer dans la tiédeur du sol, hideuses et repues. Elles se sont endormies entre Monique et Robert pour l’hiver, avant de s’étendre vers d’autres arbres, pondre leurs enfants tueurs.